Abus sexuels : Silence sacré... trop sacré

 

« Ce qui est caché sera mis en lumière, et ce que vous aurez dit à l’oreille dans les chambres sera proclamé sur les toits. »Évangile selon  Luc, 12,3

 

Pendant des décennies, des milliers de victimes ont crié dans le désert, tandis que l’Église, pourtant fondée sur la Parole, cultivait le silence. Un silence pesant, spirituel, parfois même sacralisé. Ce silence, certains d’entre nous l’ont entendu résonner jusque dans nos âmes, nous poussant à prendre nos distances avec une institution que nous aimions, mais dont nous ne pouvions plus supporter l’aveuglement.

Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de dénoncer des faits. Il s’agit de déconstruire une culture spirituelle qui a servi de paravent à l’inaction, voire à la complicité. Car oui, l’obéissance, l’humilité, et le pardon… piliers du chemin chrétien… ont été dévoyés pour maintenir un système de silence et de domination.

 

L’obéissance : de la confiance à l’aveuglement

Dans le catéchisme, l’obéissance est présentée comme une vertu : se remettre entre les mains de Dieu, suivre le Seigneur Jésus, faire confiance à l’Église. C’est une attitude d’ouverture à la Vérité, une réponse à l’amour de Dieu. Mais que devient cette obéissance lorsqu’elle est exigée sans réciprocité ni transparence ? Quand l’autorité ecclésiastique se fait intouchable, infaillible, presque divine ?

Combien de fois a-t-on demandé aux fidèles de taire leurs doutes, de ne pas poser de questions ? Combien de séminaristes, de jeunes religieux, de laïcs engagés ont entendu : « Tais-toi, obéis, fais confiance » alors qu’ils pressentaient l’injustice, ou savaient la faute ?

Cette obéissance dévoyée a transformé les structures ecclésiales en forteresses où la parole des petits était toujours inférieure à celle du prêtre. Elle a engendré une forme de violence spirituelle, souvent invisible mais profondément destructrice : ne plus pouvoir discerner le bien du mal, parce que toute critique devient soupçon d’orgueil ou de rébellion.

 

L’humilité : de la simplicité à la honte

Être humble, c’est reconnaître qu’on n’est pas tout, qu’on a besoin des autres et de Dieu. Mais l’humilité, dans certaines prédications, a été transformée en effacement de soi, voire en acceptation de l’abus. Trop de victimes ont intériorisé que leur souffrance n’était « pas si grave », qu’elles devaient « s’oublier », « offrir leur douleur à Dieu ».

La honte a ainsi pris racine là où l’humilité devait libérer. La spiritualité de l’abnégation, si belle quand elle est librement choisie, a été imposée, détournée. On a appris à se taire « pour ne pas salir l’Église », comme si dénoncer le péché revenait à trahir la foi. La peur de faire scandale est devenue plus forte que le devoir de protéger les innocents.

Et cette honte, souvent invisible, s’est logée dans les cœurs des fidèles. Ceux qui ne comprennent pas pourquoi ils ont perdu la joie de croire. Ceux qui s’éloignent en silence, incapables de dire pourquoi. Parce qu’ils ont appris à douter d’eux-mêmes, à se méfier de leur propre lucidité.

 

Le pardon : de la libération à l’effacement

Le pardon est au cœur de la foi chrétienne. Il ne s’achète pas, il ne se force pas. Il ne se substitue pas à la justice. Pourtant, dans les discours ecclésiaux, le pardon a souvent été imposé, comme une exigence supérieure, déconnectée de tout processus de réparation.

Trop de victimes ont entendu : « Tu dois pardonner pour guérir » ou « Pardonne comme le Christ sur la croix ». Mais ce pardon imposé, réclamé trop tôt, trop brutalement, est une nouvelle forme de violence. Il devient injonction à se taire, à ne pas demander justice, à effacer l’agresseur… et à s’effacer soi-même.

Le vrai pardon ne peut naître que dans la vérité. Il n’a de sens que si le mal est reconnu, condamné, réparé. C’est un chemin libre, intime, sacré… et non une obligation dictée par l’institution.

 

À ceux qui ont pris leurs distances

À tous ceux et à toutes celles qui se sont éloignés de l’Église, le réseau des « catholibres » ne demande pas de revenir. Mais il invite à rester en vous-mêmes fidèles à ce que vous savez juste. Beaucoup ont quitté non par tiédeur, mais par conscience. Non par perte de foi, mais par refus de la trahir.

Vous n’avez pas déserté. Vous avez résisté. Vous n’êtes pas les infidèles, mais les sentinelles. Vous êtes les témoins d’une foi qui ne peut pas se satisfaire du silence, de l’injustice, de l’abus camouflé derrière des dogmes.

Il y a une Église à reconstruire. Peut-être ailleurs, peut-être autrement. Mais sans vous, sans vos voix blessées mais lucides, rien ne changera vraiment.

 

Sortir du mutisme sacré : pour une foi libérée

Le silence n’est pas une vertu quand il protège le crime. Le mutisme n’est pas une sainteté. L’Évangile de notre Seigneur Jésus ne nous appelle pas à la soumission aveugle, mais à la vérité qui rend libre. Il nous appelle à dénoncer ce qui écrase, ce qui trahit l’amour.

Sortir du mutisme, c’est refuser que le sacré soit un bouclier pour les coupables. C’est rappeler que Dieu n’est pas dans les murs des palais épiscopaux, mais dans la voix de celui qui crie dans le désert.

Il ne s’agit pas de démolir l’Église. Il s’agit de s’éloigner pour refuser qu’elle trahisse l’Évangile. Il s’agit de croire que la foi peut renaître, plus humble, plus vraie, plus fidèle à son maître, notre Seigneur Jésus

Car oui, la foi véritable ne demande pas le silence. Elle demande la lumière. Elle demande la vérité. Et elle commence souvent là où quelqu’un, un jour, a osé parler.

 

Le réseaux des « catholibres »