Présentation des Galiléens

La Galilée, lieu de naissance de l’Évangile, n’était pas le centre mais la marge.
C’est là que Jésus choisit d’ancrer sa parole : loin du pouvoir, près des vies brisées. Aujourd’hui encore, des croyants vivent cet exil intérieur, ignorés des structures mais porteurs d’une foi dépouillée. Et si l’Église osait revenir en Galilée, là où tout commence.

Au temps du Seigneur Jésus, la « Galilée  » est une région périphérique, éloignée du centre religieux et politique de Jérusalem. Pour employer un symbole : c’était la banlieue de Dieu, loin des temples saturés de pouvoir. Située au nord de la Judée, elle constituait, à l’époque de Jésus, un espace de frontières socialement contrasté, souvent méprisé par les élites religieuses et laïques. Le Talmud, qui est un recueil rabbinique sur la loi juive, la morale et les coutumes, lui reprochait son accent un peu rustique… son éloignement des normes rituelles… sa population mélangée entre Juifs et païens.

 

Pourtant, c’est précisément dans cette « Galilée » des exclus que Jésus a grandi, à Nazareth, jusqu’au jour de son départ pour sa mission, à l’âge de trente ans (Luc 3, 23), afin d’appeler ses disciples. C’est en Galilée, au bord du lac de Génésareth, que Jésus choisit d’appeler ses premiers compagnons… un décor de campagne et de filets, bien éloigné des sphères savantes de Jérusalem. Ce geste inaugural ancre sa mission non pas au centre du pouvoir religieux, mais aux marges, là où bat la vie ordinaire des hommes.

 

Cette décision divine ne relève pas d’un simple hasard géographique, mais d’un acte théologique fort : en se plaçant volontairement à la marge, Le Seigneur Jésus renverse les logiques du pouvoir sacré, de pureté morale et d’autorité institutionnelle. La Galilée devient un territoire de renversement, celui d’où surgit une espérance neuve, insoupçonnée et scandaleuse pour les pouvoirs en place.

 

À travers des figures de simples pêcheurs, de publicains… c’est-à-dire des collecteurs d’impôts à la solde de l’Empire romain, de malades, de femmes et de veuves anonymes, Jésus fonde un nouveau corps spirituel, une communauté libérée des hiérarchies étouffantes.

 

C’est dans cette dynamique que se révèle une tension fondamentale entre la périphérie galiléenne et le centre institutionnel : tension entre charisme et autorité, entre miséricorde et jugement, entre parole libre et dogme figé. Or cette tension ne relève pas uniquement du passé. Elle traverse aussi l’Église catholique contemporaine.

 

Aujourd’hui encore, des « Galiléens » modernes vivent à la marge des structures ecclésiales et sociales. Ils ne sont pas reconnus comme tels, parfois même niés, mais ils existent. Ce sont des personnes blessées par des abus sexuels, corporels et psychiques perpétrés par un clergé que l’on a protégé pendant des siècles. Ce sont souvent des femmes et des hommes détruits depuis leur enfance. Ce sont des femmes toujours reléguées à des fonctions subalternes. Ce sont des personnes hors normes… chrétiens divorcés… remariés… des familles recomposées… des familles monoparentales… des catholiques homosexuels à qui l’on refuse toute reconnaissance ecclésiale, et toutes les personnes rejetées pour leur orientation ou leur identité sexuelle. Ce sont aussi des croyants pauvres, migrants, précaires… des personnes handicapées, des personnes isolées, pour qui la porte des sacristies reste close malgré les discours bienveillants.

 

Les Galiléens du XXIe siècle incarnent une marginalisation spirituelle, un exil intérieur au sein même de l’Église. Meurtris par des violences symboliques ou psychiques, ils ne trouvent que rarement justice et consolation. Beaucoup vivent une foi blessée, non dans le reniement, mais dans la douleur de l’exclusion. Ces blessures peuvent devenir des lieux de révélation évangélique… lieux où la compassion du Seigneur Jésus s’incarne à nouveau… lieux où s’invente une autre manière de vivre sa foi.

 

Face à cela, l’Église catholique actuelle a-t-elle la capacité d’habiter la « Galilée » ? Peut-elle, au-delà des appels à la réforme, se convertir structurellement à l’humilité du Seigneur Jésus, le « Galiléen » ? L’Église peut-elle renoncer à certaines formes de pouvoir sacralisé pour laisser place à une parole libre, prophétique, plurielle ? Peut-elle reconnaître que l’Esprit souffle parfois avec plus de force sur les rives du lac que dans les couloirs marbrés des palais épiscopaux ?

 

Cette réflexion s’inscrit dans une lecture chrétienne (catholique) critique, nourrie d’un attachement profond à l’Évangile et d’une méfiance à l’égard des pouvoirs ecclésiastiques. Elle invite à une relecture radicale du rapport entre le centre du pouvoir et la périphérie, entre la fidélité et la liberté, entre l’institution et le charisme.

En proclamant que le Seigneur Jésus ressuscité précède les siens en Galilée (Matthieu 28, 7), les Évangiles nous rappellent que la vie chrétienne commence et recommence toujours… par les marges.

 

Les « Galiléens » d’aujourd’hui n’attendent pas seulement d’être reconnus. Ils interrogent notre fidélité à l’Évangile. Le Seigneur nous appelle en toute liberté à nous lever… non pour défendre des bastions institutionnels, mais pour habiter nos failles. Elles nous rappellent, en silence parfois, que le Seigneur Jésus est toujours du côté des rejetés.

 

Didier Antoine REY