La dignité humaine, un trésor évangélique à défendre contre vents et dogmes
La dignité de toute personne humaine, cœur de l’Évangile et portée dès le XIXe siècle par Rerum Novarum, reste un repère incontournable pour celles et ceux qui ont pris leurs distances avec l’institution. Face aux replis conservateurs et aux exclusions au nom d’une vérité figée, ce principe appelle à une foi engagée, ouverte aux réalités diverses des vies humaines. Il rejoint les combats contemporains pour la justice sociale, l’égalité et l’accueil de l’autre. Loin d’un retour à l’ordre, l’Évangile invite à une fidélité subversive, du côté des opprimés.
« Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » Cette parole de notre Seigneur Jésus, extraite de l’Évangile selon Matthieu, reste un cap pour beaucoup d’entre nous, y compris pour toutes celles et tous ceux qui ont pris leurs distances avec l’institution catholique. Elle demeure cependant… malgré les silences, les scandales, les abus, les crispations morales, une boussole éthique et spirituelle. Elle affirme une chose simple et radicale : toute personne humaine porte une dignité inaliénable.
Léon XIII, dans Rerum Novarum (1891), « des choses nouvelles » en latin… fut l’un des premiers à porter cette conviction dans le débat public moderne. Dans un monde bouleversé par la révolution industrielle… l’exploitation ouvrière… l’exploitation des enfants, il osa affirmer que l’homme ne pouvait être réduit à une variable économique. Que la justice sociale était une exigence chrétienne. Que l’Évangile ne s’oppose pas à l’émancipation des pauvres, mais la commande… non comme une option morale parmi d'autres, mais comme le cœur même de la bonne nouvelle annoncée aux exclus, aux humiliés, à celles et ceux qu’on voudrait invisibles.
Ce texte n’était peut-être pas parfait. Il restait marqué par son époque et ses limites. Mais il initia un souffle : celui d’un catholicisme social, ouvert sur les luttes populaires, en dialogue… parfois difficile… avec les aspirations démocratiques et laïques du XXe siècle. Ce souffle, bien des chrétiennes et chrétiens, engagés dans le monde, ont tenté de le prolonger.
Aujourd’hui, ce souffle semble menacé de toutes parts. Dans la société, la dignité humaine est battue en brèche par les logiques de rentabilité, les politiques sécuritaires, la xénophobie décomplexée, le mépris des plus précaires. Le travail est toujours plus flexible, c’est-à-dire plus instable. L’accueil de l’étranger est perçu comme une menace. Les droits sociaux sont grignotés au nom de la compétitivité.
Et dans l’Église ? Le repli conservateur gagne du terrain. Face à la complexité du monde, certaines autorités ecclésiales croient devoir revenir à un ordre moral figé, à des normes rigides, à des discours qui opposent plus qu’ils ne rassemblent. Au nom d’une « vérité » désincarnée, figée dans des formulations théoriques ou des normes héritées, on ferme la porte… parfois avec des violences symboliques… à toutes celles et à tous ceux dont les trajectoires familiales tragiques, les expériences sexuelles chaotiques ou les quêtes spirituelles ne rentrent pas dans les cadres établis, comme si l'Évangile avait pour mission de trier les existences plutôt que de les accueillir.
C’est un contresens historique et spirituel. Car ce n’est pas le relativisme qui menace l’Évangile aujourd’hui, c’est l’oubli du visage de l’autre. Ce n’est pas la diversité des identités qui affaiblit la foi, mais l’obsession identitaire. Le message du Seigneur Jésus n’a jamais été un appel à défendre une civilisation contre ses ennemis, mais un appel à reconnaître l’autre comme un frère ou une sœur.
Il y a, aujourd’hui, un risque réel de captation du catholicisme par des courants autoritaires, nostalgiques d’un âge d’or patriarcal et hiérarchique. On assiste à une sacralisation de la tradition comme clôture, non comme chemin vivant. Et ceux qui portent une parole critique, en lien avec les luttes sociales, écologistes, antiracistes, sont souvent tenus à l’écart, voire soupçonnés d’infidélité.
Et pourtant, le cœur de l’Évangile est ailleurs. Il est dans la parole libératrice du Seigneur Jésus aux femmes rejetées, aux malades, aux étrangers. Il est dans sa manière d’arracher chacun à l’humiliation, de dénoncer les pouvoirs qui écrasent, de redonner la parole aux sans-voix. Il est dans la conviction que chaque personne, au-delà de toute étiquette, est aimée de Dieu.
Face à cela, Rerum Novarum nous rappelle qu’il existe une tradition sociale de l’Église, trop souvent oubliée, mais toujours féconde. Une tradition qui ne sépare pas la foi de l’engagement, la prière de l’action. Une tradition qui invite à lutter contre les structures de péché… pauvreté… racisme… inégalités, domination des élites… plutôt qu’à les justifier au nom d’un supposé ordre divin.
Nous n’attendons plus que l’Église officielle se réforme par elle-même. Mais nous affirmons qu’il est possible, en marge ou en rupture, de faire vivre un christianisme fidèle à l’Évangile. Un christianisme qui se reconnaît dans les luttes pour la justice, pour les droits, pour la planète. Un christianisme qui n’a pas peur de la démocratie, ni de la pluralité des vies humaines.
C’est à cela que nous voulons contribuer, avec d’autres croyants et non-croyants, dans un esprit de fraternité radicale. Parce que la dignité de toute personne humaine n’est pas une option. C’est le cœur du message chrétien… et le socle d’un avenir commun.
Le « Réseau Galilée »